Depuis les années 80 et l’émission de radio « Le bébé est une personne », le bébé est considéré comme un sujet à part entière. Il est devenu de notoriété publique qu’il faut lui parler bien avant l’acquisition du langage. Mais comment parler au bébé ? Premier article de la série sur l’accompagnement à l’acquisition du langage : L’acquisition du langage et de la verbalisation.
Comprendre le développement du langage chez l’enfant permet de mieux comprendre sa relation avec lui. Voyons un peu comment cet apprentissage se passe…
Le bébé est un être de communication
Le bébé est un être de communication, de relation. Ce n’est pas parce qu’on ne parle pas qu’on n’est pas un humain !
Dès, in utero, le fœtus est sensible à la parole : il sélectionne les sons qui sont à la fréquence de la voix humaine. Et dès sa naissance, il a une appétence pour la rencontre humaine, les voix et les visages. Il est particulièrement sensible aux sollicitations verbales de son entourage.
Fait incroyable, il est capable de discriminer les sons et les phonèmes de toutes les langues du monde. Cette capacité universelle vis-à-vis des langues va peu à peu se perdre au profit de sa langue maternelle, vers ses 8 mois. Le bébé passe dans un premier temps dans une phase de désapprentissage donc, au cours de laquelle il devient plus sensible au ton et à la prosodie de sa langue maternelle.
Vers ses 9-10 mois, débute la production des sons, gazouillis puis babillage. En grandissant, il va passer de la production de mots isolés à de véritables combinaisons de mots. Aux alentours de 18-20 mois, on constate une forte progression de son langage : le jeune enfant produit alors plus de 10 mots nouveaux par jour ! A noter d’ailleurs à cette période, que ce n’est pas parce qu’il ne parle pas qu’il ne comprend pas. En effet, il faut tenir compte d’un décalage entre l’acquisition et la production.
La période de constitution de son vocabulaire va s’étaler entre ses 12 et 36 mois mais elle est très variable selon le rythme des enfants. Et puis, même après, à 4 ans, l’apprentissage est loin d’être terminé. Il faudra attendre jusqu’à l’adolescence pour parvenir à une certaine aisance.
Le langage adressé aux enfants (LAE)
Il s’agit de la manière dont l’adulte parle aux enfants, encore appelé « parler-bébé », ou « mamanais ». Ce langage est universel, peu importe la langue maternelle ou la culture. Le pic d’utilisation du LAE se situe vers 12 mois et continue jusqu’aux 2 ans de l’enfant, période pleinement adaptée.
On parle du langage mais aussi des gestes et mimiques que toute personne utilise en situation de prendre soin d’un tout-petit. Il s’agit du bain émotionnel partagé, s’inscrivant au cœur de la relation parent/enfant.
Le LAE en quelques points :
- Langage simplifié, pauvre en vocabulaire;
- Accent sur le mot cible ;
- Hauteur de voix plus élevée, dans les aigus ;
- Mélodies ascendantes en fin de phrase ;
- Exagération de l’intonation, riche en affects ;
- Beaucoup de répétitions ;
- Rythme ralenti et pauses en fin de phrase ;
- Mimiques et gestes pour accompagner la parole.
Pour le tout-petit, le LAE va soutenir le message verbal et permettre de véhiculer l’affect et l’intention communicative tout en stimulant sa réactivité. Il va donc favoriser l’acquisition du langage. De plus, grâce au travail de transformation par le biais de l’adulte, il permet une fonction contenante et sécurisante pour le bébé : « Ohlala tu pleures, tu dois avoir très faim! ».
Pourtant, il convient de faire évoluer ce langage assez rapidement. L’apprentissage de la langue maternelle est un apprentissage implicite qui sous-tend l’acquisition par l’écoute, l’observation et l’imitation. Le bébé doit aussi pouvoir s’appuyer sur un modèle pour qu’il saisisse la complexité du langage dans toute sa diversité.
Apprendre et grandir
Apprendre le langage ne se fait pas en imitant mais en créant. L’idée est de produire quelque chose qu’on n’a jamais vu, lu ou entendu. En effet, ce n’est pas quelque chose d’automatique qui se fait simplement à l’écoute de l’adulte. C’est un apprentissage qui nécessite de la médiation et des interactions entre l’adulte et l’enfant.
Le propre du langage est d’une part, la capacité extraordinaire de parler en l’absence, c’est-à-dire d’évoquer et d’autre part, la capacité de parler en dehors du « ici et du maintenant ».
Parler aux bébés ne suffit donc pas pour qu’ils apprennent. C’est parce qu’il y a un adulte attentif, qui s’intéresse à lui, qu’il va avoir envie d’apprendre. Le jeune enfant se donne énormément de mal pour découvrir la complexité des sons et de l’utilisation correcte de sa langue dans sa bouche pour les prononcer. Il est donc normal qu’il butte sur des prononciations et que nous accueillions ses tentatives maladroites avec bienveillance. Mais il est aussi indispensable de lui montrer la juste prononciation et de lui signifier dès ses débuts dans le monde du langage verbal que, non seulement on se soucie de le comprendre, mais qu’en plus on est convaincu de sa capacité à se faire comprendre.
Un enfant n’apprend pas le langage en grandissant ; c’est au contraire le langage qui le fait grandir.
Alain BENTOLILA (linguiste)
Pour aller plus loin…
BENTOLILA Alain, Le verbe contre la barbarie