On a parfois vécu l’expérience d’être frère ou sœur et on pourrait alors penser qu’on sait à quoi s’attendre. Pourtant une fois parent, on se sent finalement peu préparé aux hostilités entre nos enfants. Parfois, alors même que l’on a pu calculer un écart d’âge « optimal » pour éviter ces désagréments !
On parle de jalousie, de disputes, de conflits, de rivalités voire de haine, et c’est tout à fait normal de se sentir démuni face à ces comportements. Voici un petit article pour mieux comprendre ces rivalités et avoir des outils éducatifs pour les accompagner.
C’est quoi être frère(s) et soeur(s) aujourd’hui?
Sylvie ANGEL (psychiatre) nous répond: : “Etre frère et soeur, c’est être issu des mêmes parents, c’est avoir un patrimoine génétique, social et culturel commun.”
Or aujourd’hui, la définition tend à s’étoffer de plus en plus, avec les familles recomposées mais aussi l’adoption et la PMA. Les relations fraternelles bien que constantes, ont évolué au cours du temps. Par exemple, les relations fraternelles actuelles sont généralement plus longues : les parents disparaissant en premier, les relations conjugales arrivant plus tardivement et ayant tendance à ne pas durer tout le reste de la vie.
Aujourd’hui, j’appliquerai donc les termes de frères et sœurs aux enfants élevés ensemble, sans forcément avoir de lien biologique, qui se co-développent l’un par rapport à l’autre sur une longue durée.
Pourquoi est-on jaloux de son frère/sa soeur?
Jacques LACAN (psychanalyste) a souligné le rôle fondamental de la jalousie infantile en décrivant un « complexe d’intrusion » tout aussi important que le complexe d’Œdipe dans le développement de l’enfant: “la jalousie ne représentant pas seulement une rivalité, mais aussi une possibilité d’identification”. L’enfant est une sorte de miroir, un double, ce qui sous-tend une certaine confusion identitaire. On pourrait le décrire comme un sentiment entre l’envie et l’admiration.
Cependant, on pourrait considérer qu’il n’y a que deux réelles causes profondes à la jalousie fraternelle :
- La conquête de l’attention des parents
- La lutte active contre le favoritisme parental
« Ne sois pas jaloux, c’est mal! »
Même si elle est variable dans son degré d’intensité, la jalousie n’a jamais été une émotion confortable. En éprouver c’est vivre un perpétuel conflit intérieur, car elle engendre une constante ambivalence des sentiments : le jaloux aime et déteste, admire et méprise, examine et compare. De cette équivoque découle un mode relationnel marqué par l’insécurité et la faible estime de soi.
Un enfant qui développe une jalousie excessive vis à vis de ses frères ou sœurs exprime, de façon plus ou moins implicite, un très fort désir de reconnaissance et d’exclusivité affective de la part de ses parents. Pour transformer une jalousie destructrice en une jalousie beaucoup plus saine et équilibrée, les parents devront impérativement reconnaître l’enfant jaloux dans ses spécificités, son rôle et dans la famille.
Accepter la jalousie c’est déjà commencer à traiter le problème.
L’acceptation repose sur le constat universel selon lequel il est impossible d’obliger quelqu’un à aimer si cet amour n’est pas naturel. On peut, en revanche, l’aider à réguler ses affects négatifs et à accueillir respectueusement la différence de l’autre.
Comment gérer la rivalité fraternelle?
La rivalité fraternelle, contrairement à la jalousie qui se joue sur le terrain des émotions, s’exprime dans l’arène du comportement. Elle repose sur la crainte de voir les ressources vitales (soit les nourritures affectives dispensées par les parents) diminuer à cause de la présence d’un autre congénère. Il s’agit d’une compétition qui, dans l’esprit d’un enfant, doit comporter un vainqueur et un vaincu.
Il y a des causes objectives à la rivalité :
- les rôles dans lesquels les parents enferment les enfants de la fratrie,
- l’attitude de partialité qui les amènent à en favoriser sans le vouloir,
- le processus incessant de comparaison.
Outils pour accompagner les rivalités fraternelles*
* Inspirés des techniques de gestion de conflits de Faber et Mazlish
Résister à la tentation de comparer
- Tout ce qu’on peut dire à un enfant peut être dit sans mentionner son frère ou sa sœur.
- Eviter les comparaisons défavorables mais aussi favorables : Plutôt que : « Toi au moins ta chambre est rangé pas comme ta sœur », dire « Je vois que ta chambre est bien rangée ».
- Pour ne pas comparer : décrire ce qu’on voit, ce qu’on aime, ou n’aime pas, ce qu’on ressent.
- Quand vous passez du temps avec un enfant, ne parlez pas de vos autres enfants.
Accompagner les sentiments négatifs
- Apporter aux enfants, de façon imaginaire, ce qu’ils ne peuvent obtenir dans la réalité : « Tu aimerais qu’il/elle retourne dans le ventre. »
- Aidez les enfants à canaliser leurs sentiments hostiles vers une expression symbolique ou créative : dessiner, écrire…
- Montrer comment exprimer la colère en toute sécurité : on n’attaque pas l’attaquant.
Ne vous laissez pas prendre aux pièges du tous ensemble : ils n’ont pas les mêmes besoins donc pas les mêmes envies.
Les disputes entre frères et soeurs
Mais pourquoi se disputent-ils?
Si vous ne l’aviez pas encore remarqué, sachez que le jouet le plus intéressant est toujours dans les mains de l’autre.
Le besoin d’identification passe par l’imitation. Or, les enfants sont naturellement égocentriques. Avant 4 ans, ils ne sont ni assez matures ni assez socialisés pour comprendre que ce qui leur appartient peut aussi se retrouver dans les mains d’un autre. Ils doivent traverser plusieurs étapes avant d’intégrer la notion de propriété et donc de partage.
Bien sûr, d’autres raisons poussent à la dispute. Cependant, on se rend vite compte qu’encore une fois, il s’agit d’amour parental dont il est question (qu’il prenne la forme d’un jouet, de temps, de quantité…).
L’amour ne se commande pas
Pour éviter les disputes, il faut dans un premier temps accepter que l’entente dans la fratrie ne coule pas de source. Au lieu de s’inquiéter à ce que nos enfants deviennent amis, l’idée est de chercher à leur transmettre les attitudes et compétences nécessaires à toute relation affective : qu’ils soient capables de dépasser certaines réflexions (comme qui a tort, qui a raison) et qu’ils apprennent à s’écouter l’un l’autre en respectant leurs différences, en trouvant des façons de résoudre leurs problèmes.
Il est important de faire le deuil de la fratrie idéale : la fratrie se construit à coup de petites tensions naturelles qui méritent d’être entourées, apaisées par les parents. Les disputes peuvent aussi être constructives. Ils apprennent à négocier, à composer et à défendre leurs intérêts.
Faut-il intervenir dans les disputes de ses enfants?
Que faire en cas de dispute ? Intervenir ou pas ? Les séparer ? Les punir ?
On a compris que les disputes naissaient de la jalousie et de la rivalité, donc finalement qu’elles ne sont pas forcément la faute d’un tel ou d’un tel et qu’en plus elles peuvent être constructives. Mais entre nous, la plupart du temps, c’est juste un enfer !
N’intervenez pas systématiquement dans toutes les disputes. Rien ne vous frustrerait plus qu’un médiateur qui s’interposerait chaque fois dans nos disputes de couple, qui voudrait arrêter les émotions, alors que nous savons très bien régler tout ça par nous-mêmes.
Cela n’est pas évident : les enfants doivent avoir l’opportunité de résoudre eux-mêmes leurs différends, mais ils sont aussi en droit d’obtenir l’aide d’adultes lorsque c’est nécessaire. Si un enfant est agressé par d’autres, que ce soit physiquement ou verbalement, nous devons intervenir.
La différence, c’est d’intervenir, non pas pour se placer en juge (qui a tort, qui a raison) ou pour arrêter l’échange, mais pour ouvrir la communication, afin qu’éventuellement, ils puissent communiquer l’un avec l’autre. L’idée est d’intervenir sans prendre parti : les enfants décodent très rapidement certains mécanismes et apprennent à en jouer en leur faveur. L’enfant va alors définir quelle est la stratégie qui lui est la plus profitable.
Il est important par ailleurs de faire la distinction entre sentiment et actions. On peut permettre aux enfants d’exprimer leurs sentiments mais on ne permet pas de se blesser les uns les autres. L’idée est de leur apprendre à exprimer leur colère sans se faire mal : « Ce n’est pas une bagarre pour jouer que je vois, il est temps de vous séparer. »
Outils pour gérer les disputes*
* Voir les techniques de gestion de conflits de Faber et Mazlish
Chamailleries normales : laisser les gérer
La situation se dégrade. L’intervention d’un adulte pourrait être utile
- Reconnaissez leur colère : « vous avez l’air furieux l’un contre l’autre ».
- Reflétez le point de vue de chacun des enfants.
- Décrivez le problème à respecter.
- Manifestez votre confiance dans la capacité des enfants à trouver une solution qui leur convient mutuellement.
- Quittez la pièce.
Situation qui pourrait devenir dangereuse
- Informez-vous : « C’est une bagarre pour jouer ou une vraie bagarre ? ».
- Rappelez-leur la règle du consentement.
- Si ça ne ressemble pas à un jeu selon vous : « Vous être peut-être en train de jouer mais je trouve ça trop violent, il va falloir trouver une autre activité ».
Situation définitivement dangereuse !
- Décrivez ce qui se passe.
- Séparez les enfants.
Frères et soeurs pour la vie
Pour que l’enfant puisse faire de la place à l’autre, il lui faut dans un premier temps acquérir une prise de conscience de soi. C’est là toute l’influence d’un frère sur le développement d’un enfant: sortir petit à petit de l’illusion de toute puissance, une étape difficile et progressive qui va lui permettre d’entrer en relation avec les autres et le monde, le conduire vers la socialisation.
Bien que cette expérience de la jalousie soit douloureuse, c’est ce qui permet à l’enfant de parvenir à une meilleure différenciation des rôles et des places de chacun pour peut-être construire une solidarité fraternelle. Pour éviter les jalousies, il faut permettre le développement personnel et singulier de chaque enfant.
Même si on a vu comment les relations entre frères et sœurs peuvent être améliorées grâce à l’intervention habile d’un adulte, il est toutefois important de garder en tête que toutes vos interventions ne fonctionneront pas toujours parfaitement, ni de façon permanente. Les relations entre frères et sœurs sont fluides, changeantes et constamment en devenir, ils s’éloignent et se rapprochent. En tant que parents, vous ne pouvez exiger qu’ils maintiennent entre eux des relations immuables, proches, aimantes. Toutefois, avec certains outils, nous pouvons dégager certains obstacles qui nuisent à leur relation. Contenir la rivalité fraternelle suppose à long terme, un vrai travail d’endurance !
Pour aller plus loin…
BATAILLE Nina, 2018, Frères et sœurs : De la rivalité à la complicité
CASTRO Dana, 2017, Frères et Sœurs : les aider à s’épanouir
FONTAINE Roxane, 2017, Finie la jalousie entre frères et sœurs !
Pour les enfants
ABECASSIS Eliette, 2009 , Il a tout et moi j’ai rien !
FILLIOZAT Isabelle, 2018, Frères et sœurs – Les cahiers Filliozat – Dès 5 ans
BROWN Anthony, 2007, Mon frère
COLLINET Clémentine et TORTEL Pascal, 2000, C’est ma carotte
DESBORDES Astrid et MARTIN Pauline, 2016, Un amour de petite sœur
GLIORI Debi et Alison BROWN, 2017, Mais c’est moi ton bébé !