PARLER AU BEBE: Pourquoi et surtout comment?

Maman parle au bébé en souriant

Depuis les années 80 et l’émission de radio « Le bébé est une personne », le bébé est considéré comme un sujet à part entière. Il est devenu de notoriété publique qu’il faut lui parler bien avant l’acquisition du langage. Mais comment parler au bébé ? Troisième et dernier article de la série sur l’accompagnement à l’acquisition du langage : Pourquoi et  comment parler au bébé ?

S’adresser au bébé au même titre qu’un autre membre de la famille est primordial : c’est une manière de l’intégrer et de l’instituer en tant que que sujet. Mais avant 18 mois, communiquer n’est pas évident ! Et il n’y pas de mode d’emploi universel.

Au commencement…

Dans le ventre

Beaucoup de futurs parents se demandent à partir de quand il « faut » parler au bébé dans le ventre de sa maman ? Certains commencent dès qu’ils ont connaissance de son existence, d’autres ont un peu de mal à s’adresser à un ventre… et attendent la rencontre physique à la naissance.

Il est recommandé en effet, de parler et de s’adresser à son bébé bien avant sa naissance : le fœtus perçoit déjà entre autres, le rythme de la voie maternelle et la sonorité grave de la voie paternelle. Il discrimine déjà les intonations et la mélodie de sa langue maternelle. On sait qu’à partir de la 25ème semaines de grossesse environ (et peut-être même avant), le fœtus entend les sons et donc baigne déjà dans un univers sonore et langagier. Il participe de fait déjà à la vie familiale et sociale de sa mère : plus il entendra des sons et des voix différents, plus il pourra facilement les discriminer à la naissance.

Pourtant attention, les techniques consistant à mettre en place des dispositifs de stimulation sonore in utero, ne sont absolument pas recommandées… En effet, elles augmenteraient le stress du fœtus en désorganisant ses rythmes cardiaques et respiratoires. On évite de basculer dans les excès…

A la naissance

Et une fois que cette petite bouille est sortie, comment ça marche ?

A sa naissance, le nouveau-né discrimine on l’a vu, plusieurs types de son.

A partir de sa 6ème semaine de vie, il sait déjà faire la distinction entre les intonations montantes et descendantes, autrement dit entre le jeu (caractérisé par une humeur ludique), et une action (« je vais chercher ton biberon »).

Il sera alors très important de bien accentuer son intonation quand on s’adresse à lui : il y a une différence entre « dodo ? » et « dodo » ! Cette courbe mélodique, que l’enfant utilisera très tôt, a un rôle capital dans son acquisition du langage.

Au travers des deux derniers articles, nous avons évoqué l’importance de la communication et des interactions pour le nouveau-né. En effet, le tout-petit vit dans une grande proximité émotionnelle avec ses proches : il perçoit les émotions qui se véhiculent. Si l’adulte ne nomme pas ces émotions, elles peuvent devenir alors source d’angoisse. Alors que dire ? Et avec quels mots ?

Parler, mais pas pour ne rien dire

C’est bon, c’est acquis depuis les années Dolto, le bébé est un être de langage, il faut lui PARLER. Alors on parle, on leur raconte ce qu’on a fait, comment on les trouve, les gestes que l’on utilise pour prendre soin d’eux etc. Pourtant Françoise DOLTO a aussi dit : « Du langage sonore au vrai ressenti » : attention au parler pour ne rien dire !

Nos mots doivent avoir du sens aussi pour nous lorsque nous parlons. Mais parlons de quoi ?

– De tout et de rien, c’est ce que l’on appelle la fonction pratique du langage : « je vais te mettre ton manteau, il fait froid dehors » ; « c’est l’heure de manger, aujourd’hui c’est brocoli »…

– De tout ce qui concerne directement le tout-petit (comme les changements d’organisation) : « Aujourd’hui, nous allons découvrir ta future crèche », « Maintenant, tu vas pouvoir dormir dans un grand lit »…

– De ce qui le concerne indirectement : « Papa est malade en ce moment et ne peut plus te porter dans les bras comme avant » ; « Maman a un bébé dans son ventre »…

– De leur origine, ce qui fonde notre rapport au monde : « Papa et Maman se sont rencontrés au travail » ; « Ta grand-mère est née dans un autre pays que toi ».

Enfin, il convient de préciser que « le droit de savoir des enfants s’arrête devant la porte de chambre des parents », autrement dit tout ce qui concerne la vie sexuelle des parents ne doit pas être partagé avec les enfants.

En résumé, pour dire les choses, on va toujours mettre son discours en accord avec ses émotions car le bébé ressent très fort les incohérences dans la communication. Ensuite, on pensera à lui donner des repères verbaux, visuels et sensori-moteurs, tout en associant le geste à la parole, permettant de l’impliquer en fonction de ses capacités. Enfin, on ne racontera pas de fables aux enfants… (Allez qui ne l’a jamais fait ?). Pour s’aider et se faciliter un peu les choses, souvenez-vous qu’on n’est pas obligé de tout dire en une seule fois…

L’enfant n’est pas un apprenti, mais un compagnon de conversation

Quand on s’adresse à un bébé, mais finalement à une personne en général, adulte ou enfant, il est fondamental de considérer les échanges et la parole de chacun. Où alors vous êtes à la fac en cours magistral de droit !

C’est d’autant plus important pour le jeune enfant, car c’est par la conversation que le passage de la zone d’acquisition actuelle à la zone d’acquisition potentielle comme le dit VYGOTSKI pourra se faire. Autrement dit, pour apprendre et améliorer ses capacités langagières, le bébé doit avoir une porte d’accès vers ces compétences nouvelles : une prononciation plus nette, des phrases de plus en plus longues et de mieux en mieux construites, un plus large panel de vocabulaire etc.

L’importance des tours de rôle adulte / enfant prend alors tout son sens : l’adulte exprime une nouvelle façon de dire, l’enfant peut à son tour l’utiliser.

On comprend mieux ainsi les dangers des nouvelles technologies. Sans vouloir faire de diabolisation, n’oublions pas l’essentiel dans n’importe quel apprentissage : la relation.

« Donne moi le temps… d’apprendre ce qu’il faut apprendre… »

Une vigilance doit être apportée au fait que l’enfant n’a pas le même délai de réponse de l’adulte : surprise, il est plus long ! Il faut donc laisser le temps à l’enfant de répondre ; lui laisser le temps de comprendre pour qu’il réponde. C’est seulement à ce moment-là que la communication s’installe et encourage l’enfant à dire, à communiquer. Je reconnais que l’attente, dans sa temporalité d’adulte, peut être parfois frustrante voire agaçante mais à vous, chers parents ou éducateurs de tenir compte de ce petit espace-temps, qui au bout du compte vous fera gagner du temps ! Aux adultes donc, d’être garants des tours de rôle dans les conversations, entre adulte et enfant et même entre enfants (« à toi, à lui ») : ils sont primordiaux dans la conquête du langage.

« Etre à la hauteur… c’est un devoir quotidien… »

Pour être en relation avec une personne, pour converser d’égal à égal, il nous semblerait plus complexe de le faire dos à dos ou d’une pièce à l’autre. Il convient de se dire que pour les bébés, ce n’est pas juste complexe, c’est impossible ! Pour s’adresser à un enfant, on veillera donc à se mettre à sa hauteur, c’est-à-dire en se mettant physiquement à son niveau.

Physiquement mais pas seulement ! Se mettre à hauteur d’enfant signifie aussi, se positionner là où le tout-petit en est, dans sa tête, dans son stade de développement affectif et psychique. Cela n’aura pas beaucoup d’impact par exemple d’expliquer en long, en large et en travers que « le biberon n’est pas prêt, parce que la boîte de lait était périmée, et qu’il faut que papa sorte acheter une autre boîte … ». Une chanson, un câlin auront parfois beaucoup plus d’impact pour rassurer un tout-petit.

Ainsi, en fonction du développement du bébé, on va avoir recours à d’autres manières de communiquer pour favoriser l’interaction et les échanges, comme :

  • Les échanges d’œil à œil avec bébé, en mettant les jouets près de son visage, et en abusant des jeux de coucou ;
  • Les encouragements, l’enthousiasme ;
  • Le jeu et le dialogue : rire et s’amuser soi-même ;
  • Offrir un visage accueillant, souriant, avec opinements de la tête signifiant notre approbation bienveillante ;
  • Reprendre les vocalises et les babillages du tout-petit ;
  • Commenter, questionner : « Comment tu arrives à faire ça ? Et après qu’est-ce qu’il se passe ? »

Tout cela va permettre au tout-petit de booster ses vocalises et d’augmenter son désir d’entrer dans le langage. Il ne faut pas oublier que le moteur de l’enfant est toujours l’intérêt pour l’autre, parent, ou adulte.

Accompagner au langage l’enfant qui grandit

Bien que le langage soit à considérer comme une acquisition et non comme un apprentissage, il convient d’accompagner le jeune enfant dans sa découverte afin de lui transmettre le désir et les outils pour communiquer verbalement. Comment ?

Par le jeu

Le tout-petit sera d’autant plus réceptif à la découverte de nouvelles compétences qu’elles lui permettront de passer un moment agréable en bonne compagnie ! Les apprentissages associés à des moments de plaisir sont bien mieux intégrés. Alors à fond les jeux de bouches, les comptines, l’intonation exagérée, les gestes etc !

Au début, il est très fréquent de voir un tout-petit associer des babillages avec des sons : par exemple « bababa + tambour sur la table basse du salon ». Certes, la nuisance sonore est bien présente ! Pourtant c’est un moment fort d’apprentissage pour l’enfant auquel on assiste : la langue française fonctionne en effet en syllabes, le rythme que produit l’enfant à ce moment-là est fondamental dans son acquisition. D’où l’importance de jouer avec les intonations et les bruits toniques et ludiques (« paf », « boom »…)

Un peu plus tard, les ateliers « gym de la bouche » et « grimaces » auront beaucoup de succès et ils sont d’autant plus intéressants qu’il participe à la prévention des difficultés de langage et de prononciation.

En grandissant on va pouvoir faire des jeux de plus en plus complexes : l’ébauche d’un mot (« ce soir c’est RA ? »…. « VIOLIS !»), l’utilisation de phrases porteuses (« le singe mange des bananes »), des devinettes, définitions, erreurs intentionnelles etc.

Par le vocabulaire

Cela peut paraître évident : plus l’enfant entend des mots, plus ses capacités langagières s’enrichiront. L’apprentissage du vocabulaire est dose-dépendant. N’attendez pas l’entrée dans le langage : n’hésitez pas à poser des questions et à nommer même si vous savez que bébé ne va pas répondre.

La répétition est fondamentale : avec les tout-petits, il ne faut pas avoir peur d’être « en boucle » ! De plus, les enfants ne font pas de distinction avec les mots rares et ceux plus familiers, cela veut dire qu’il ne faut pas discriminer les mots plus soutenus contrairement à ce que l’on peut penser.

L’imagier sera le grand ami des petits apprentis en vocabulaire, comme l’utilisation des livres en général est fondamentale. Et en dehors, n’oubliez pas de proposer des temps d’interaction privilégiés. Profitez donc des temps de routine (le repas, le bain, la sortie au square…) pour nommer et verbaliser.

Le vocabulaire se travaille en expression d’abord puis en compréhension. On veillera tout de même à ce que la complexité soit progressive : par exemple, d’abord « c’est quoi ça ? » puis « qu’est-ce que c’est ? »

En étant un bon modèle

Eh oui! Je parle bien de vous! Parfois, pour qu’un enfant parle mieux, il faut que l’adulte qui l’accompagne lui parle mieux. Quelques exemples :

  • Utiliser le bon vocabulaire : pas de « tutu », « bibi », « néné »…
  • Avoir un débit de parole calme, ralenti ;
  • Regarder la personne à qui on s’adresse ;
  • Répéter les mots de vocabulaire nouveaux ;
  • Reformuler son énoncé, renforcer, ajouter ;
  • Solliciter l’enfant par des questions ouvertes ;
  • Associer des gestes et des mimiques.

Reformuler, renforcer, enrichir

L’accompagnement de l’enfant dans l’acquisition du langage passe par trois étapes, que l’on fait le plus souvent naturellement :

  • La reformulation : « doudou ! » / « tu veux ton doudou ? ».
  • Le renforcement : donner un indicateur valorisant comme un sourire et « oui ! ».
  • L’enrichissement : « Ton doudou bleu est dans ton lit ».

Toutes ces étapes passent nécessairement par l’interprétation de l’adulte qui accompagne l’enfant. Mais il ne faut pas avoir peur de se tromper dans l’interprétation : les hypothèses que vous pouvez émettre sont très importantes. Il y a en effet une valeur immense à chercher ensemble quand l’enfant n’arrive pas à se faire comprendre.

Alors on va chercher ensemble dans un premier temps, en faisant répéter, en reformulant, puis l’on dira éventuellement qu’on n’a pas compris. Reformuler, ce n’est pas reprendre l’enfant ou le réprimander, c’est l’accompagner : « Ta parole compte, donc je vais t’aider à te faire comprendre ».

A noter que l’enfant de moins de 3 ans pense que l’autre « voit » dans sa tête : c’est ce que l’on appelle la « fusion intellectuelle ». D’où l’importance de prendre le risque de dire à l’enfant qu’on n’a pas compris. Petit à petit, vous lui donnez la conscience de la différence de l’autre.

Ce n’est pas en grandissant qu’on apprend à parler, c’est le langage qui nous fait grandir.

Alain BENTOLILA

A éviter

Petit rappel des points de vigilances à ne pas oublier pour accompagner l’enfant dans l’acquisition du langage :

  • Les enfants retiennent les paradoxes entre ce qui est dit et ce que l’on pense : attention aux émotions plus rapides que les mots.
  • Il ne faut pas parler pour parler, il est parfois mieux de se taire…
  • Le bébé n’est pas un petit adulte : pas besoin de grand discours.
  • Les enfants qui parlent très très bien très tôt, ne sont pas forcément au même stade sur un plan émotionnel. Il ne faut pas les considérer plus grands qu’ils ne sont. Un gros mot bien placé, ne veut pas dire que l’enfant comprend la portée qu’il a, juste qu’il est un bon observateur.
  • Le psychisme se construit à partir des manipulations du réel : attention aux écrans ! (« Pas d’écran avant 3 ans »)
  • Anticiper les demandes ou donner une réponse avant que l’enfant n’ai eu le temps de s’exprimer, peut le brider mais surtout le priver d’un moment d’apprentissage.
  • Ne pas exiger qu’il répète : cela envoie comme signal « ta parole n’est pas conforme ». Déjà, cela ne sert à rien mais en plus, cela favorise le bégaiement !
  • Trop de questions tue les questions.
  • Pas d’usage abusif de la tétine passée 18 mois : elle plaque la langue en bas de la bouche entrainant une déglutition inefficace, une immobilité de la langue etc.
  • Oublier d’oraliser lors de la pratique de la langue des signes bébé.
  • Parler dans une langue autre que sa langue maternelle ne rend pas les enfants bilingues et entraine des troubles langagiers de syntaxe et de compréhension.
  • Sur-utilisation du « ON » plutôt que du « JE » : Surtout aux alentours de 2-3 ans, où l’enfant apprend à faire la distinction entre « JE » et « TU » et commence à s’instituer en tant que sujet à part entière.

A travers ces trois articles, vous l’aurez vu, parler aux bébés et accompagner les enfants dans l’acquisition du langage n’est pas une mince affaire. Si vous le souhaitez, je vous propose de vous aider et de vous soutenir en tant que parent dans l’accompagnement des acquisitions et des apprentissages de votre enfant. N’hésitez pas à partager vos doutes et questionnements en commentaires !

Pour aller plus loin…

DOLTO Françoise, Le parler au bébé

BERNICOT Josie et BERT ERBOUL Alain, L’acquisition du langage par l’enfant 

BONNET Monique, Comment parler au tout-petit

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