J’ai l’impression que le terme de « motricité libre » est sur toutes les bouches…Ne vous détrompez pas, j’en suis ravie! La motricité libre est largement pratiquée au sein des structures d’accueil du jeune enfant et de plus en plus de jeunes parents s’intéressent au concept. Les bienfaits qui en découlent semblent exceptionnels : enfants hyper dégourdis, capables de grimper des montagnes à mains nues et parents plus détendus que jamais. Intéressant non ? Voyons voir…
Qu’est-ce que la motricité libre?
Le concept de « motricité libre », qui se traduit en pratique d’accompagnement du tout-petit, est beaucoup moins récent qu’on peut le penser. C’est Emmi PIKLER, pédiatre hongroise qui l’a conceptualisé et surtout pratiqué au sein d’une pouponnière à Budapest dans les années 50. Mais la motricité libre était UNE des pratiques éducatives et de maternage mises en place parmi beaucoup d’autres, qui ont d’ailleurs révolutionné la prise en charge du jeune enfant. Aujourd’hui nous parlerons uniquement de motricité, mais il faut rendre à Emmi PIKLER ce qu’est à Emmi PIKLER.
Donc, cette femme extraordinaire, en observant l’activité spontanée du tout-petit, s’est rendu compte de l’intérêt du bébé à découvrir seul ses possibilités motrices, le plaisir de se mouvoir dans l’espace et d’utiliser son corps pour agir sur son environnement.
Grâce à cette liberté de mouvement, à l’expérimentation, à la répétition mais aussi à sa persévérance naturelle, le jeune enfant devient maître de son développement et force est de constater qu’il se développe d’autant mieux !
La motricité libre consiste à laisser à l’enfant la spontanéité de ses mouvements, sans lui enseigner ou lui montrer des positions ou des gestes. L’enfant n’est jamais forcé à prendre une position qu’il ne maîtrise pas encore par lui-même : comme le mettre assis alors qu’il ne sait pas le faire tout seul. Ainsi, il découvre le plaisir de bouger à force de petits échecs et de grandes réussites. Le bébé se retourne tout seul, s’assoit tout seul, se met à marcher tout seul, si on lui en laisse la liberté.
Comment pratiquer la motricité libre à la maison?
Tout seul ? Pas vraiment… Emmi PIKLER l’a bien mis en avant et c’est là où la démocratisation de cette pratique doit être mesurée : « laisser faire », ne veut pas dire « ne rien faire » ou « laisser tout faire ».
Alors, comment savoir ce qu’est le mouvement spontané du bébé ? Comment puis-je l’aider mais sans faire à sa place ? Qu’est-ce qu’on entend par environnement adapté ?
Parfois, l’aménagement proposé par le lieu d’accueil de votre enfant (crèche ou assistante maternelle) peut vous donner une petite idée, mais est-il possible de pratiquer la motricité libre sans que sa maison ne ressemble à une crèche ?
A chaque enfant, son rythme
Le petit d’Homme, à la différence de beaucoup d’autres mammifères, ne se met pas sur ses deux jambes, comme ça, passé un certain âge. Non, il doit passer par une succession d’étapes et parcourir un long chemin semé d’embûches. Heureusement, sa persévérance est sans faille !
Alors bien-sûr, il va y avoir des différences dans le rythme du développement de chaque bébé. En effet, les enfants n’ont pas envie d’expérimenter certaines étapes ou mouvements exactement au même moment ou au même âge. Pratiquer la motricité libre implique donc de respecter son rythme et de se caler sur le temps de l’enfant, c’est-à-dire le temps de maintenant.
Chers parents, il va donc peut-être falloir vous faire violence pour vous empêcher de comparer votre petit bout à celui des voisins, voire même à votre aîné. Il est important de faire cet effort de décentration (parfois plus facile à dire qu’à faire, je le reconnais) car vous portez en vous, que vous le vouliez ou non, toutes vos représentations sur le développement et l’éducation des enfants. Alors répétez-vous mentalement : si mon enfant a la possibilité de laisser libre-cours à ses mouvements spontanés, il sera de plus en plus habile et améliorera la connaissance de son schéma corporel naturellement !
Cela implique également de respecter son libre-arbitre, le laisser décider par lui-même ce qui est bon pour lui ou pas. En explorant, l’enfant va apprendre à persévérer: vous lui permettez de recommencer jusqu’à ce qu’il « réussisse », à être attentif à ce qu’il fait et à découvrir la joie de faire des progrès. Ne pas être dépendant d’un adulte pour s’exercer et être à l’initiative de son exploration est fondamental : c’est bien parce qu’il découvre par lui-même qu’il y prend plaisir. Si vous aidez l’enfant dans ses mouvements ou le placez dans une posture qu’il ne sait pas encore prendre, par désir qu’il progresse plus vite ou peur qu’il soit « en retard », vous le rendez dépendant de l’adulte et limitez donc son apprentissage de l’autonomie.
Bouger, râler, explorer, tester, tomber, répéter
La motricité libre vous invite à laisser votre enfant « galérer » un peu… En effet, il apprend parce qu’il s’exerce beaucoup et longuement. C’est ce qui va peu à peu renforcer ses muscles, sa souplesse et son agilité. Il est donc important d’observer son enfant finement avant d’essayer de l’aider : pensez à toujours vous demander, avant d’intervenir, si votre enfant a besoin de vous réellement ou pas.
Alors attention au syndrome de toute-puissance de l’adulte ! Ce sera toujours plus « facile » pour l’enfant d’être aidé mais vous lui enlèverez alors l’acquisition d’un nouvel apprentissage et la joie de la réussite. Pensez à vous à la salle de sport ou au cours de tennis, vous exprimez vos efforts parfois bruyamment, pourtant ce n’est pas pour autant que vous souhaitez que quelqu’un prenne la raquette à votre place.
De plus, pensez que les apprentissages ne se font pas par paliers, mais plutôt par vagues : le jeune enfant a souvent besoin de revenir en arrière à une position qu’il maîtrise mieux, cela ne veut pas dire qu’il régresse. Un petit marcheur continuera à utiliser le quatre patte un moment par exemple.
Par l’exploration du monde, répétée, le bébé apprend d’abord à se retourner, puis à ramper, passe par le quatre pattes, arrive à s’asseoir par lui-même et à sortir de cette position pour s’élever vers la position debout avant de marcher. Toutes ces étapes sont incontournables pour un développement psychomoteur global et harmonieux.
Découvrir par lui-même, même si c’est parfois difficile, permet au bébé de se sentir compétent et capable. Cela renforce sa confiance en lui et l’envie de persévérer mais lui apprend également la prudence en découvrant les limites auxquelles il peut faire face.
A chaque découverte, un accompagnement
Laisser l’enfant à l’initiative de ses mouvements, ne signifie pas que l’adulte n’a aucun rôle à jouer. La motricité libre implique la base d’une sécurité affective par l’accompagnement bienveillant et respectueux de sa maman, de son papa ou de tout autre personne de référence.
Cela commence par la manière de porter et d’entrer en contact avec le bébé : des manières brusques, précipitées risquent de stresser le tout-petit. Ensuite, il s’agit d’être présent pour encourager l’enfant à explorer, lui signifier notre assentiment et surtout être le témoin privilégié de ses exploits et découvertes !
Sans aucune stimulation par un aménagement de l’espace adapté et évolutif, ni d’encouragement par l’observation et la mise en mots, le tout-petit n’aura pas cet élan nécessaire à l’exploration. C’est avant tout votre présence qui lui donne confiance en ses capacités.
De même, si vous le voyez en difficulté et que ses actions mettent à mal sa sécurité, il est de votre devoir d’intervenir. Cependant, votre intervention devra toujours être respectueuse de son rythme : plutôt que d’achever un mouvement à sa place, remettez-le dans sa position initiale. Petit à petit, toujours sous votre regard bienveillant, ses mouvements seront de plus en plus fluides et il gagnera en agilité et en autonomie.
L’enfant a besoin de partager avec l’adulte la joie de découvrir. Cependant, il est nécessaire de sentir le moment où les encouragements sont excessifs et poussent l’enfant dans ses retranchements car il veut « faire plaisir » à l’adulte. Trop de « bravo » tue le bravo !
L’environnement à ne pas négliger
J’insiste sur l’importance de l’environnement, de l’espace et des jouets proposés aux enfants. L’adulte n’intervient pas lors des découvertes motrices de l’enfant mais il met en place un aménagement qui favorisent l’émergence d’expérimentations, en fonction de son âge et de ses capacités et tout en assurant sa sécurité.
L’espace proposé doit nourrir tous les besoins de l’enfant : tirer, pousser, grimper, lancer, ramper, rouler etc. Il faut donc préparer les circonstances qui vont lui permettre de développer tout son potentiel.
On veillera dans un premier temps à sécuriser l’espace afin que bébé ne se blesse pas et on essaiera de limiter les interdits : comment se sentir libre si on m’empêche de prendre la télécommande juste sous mon nez ou de grimper dans le lit superposé de mon grand frère ?
Les jeunes enfants expriment leurs besoins sensori-moteurs par l’exploration et l’expérience de tout ce qui se présentent à eux et ils ne sont pas encore en capacité, rappelons-le, d’inhiber leurs pulsions.
De plus, on dira d’un environnement qu’il est adapté à l’enfant si celui-ci montre de l’élan à explorer l’espace et les jouets sans être submergé par tout plein de stimulations. L’espace doit être assez grand pour que l’enfant se sente libre, mais pas trop, pour ne pas qu’il se sente perdu. Les jouets seront divers et variés mais en nombre limité afin d’aider l’enfant à se concentrer. Tout cela évolue avec l’âge de l’enfant, ses capacités et ses intérêts. L’environnement ne doit pas être figé sur le long terme, mais évoluer avec l’enfant qui grandit.
Enfin, un mot sur l’importance de l’ambiance dans laquelle l’enfant joue et se déplace: l’’atmosphère, les couleurs, le fond sonore doivent être agréables pour donner envie à l’enfant d’aller de l’avant et d’explorer. Pas besoin d’être un·e architecte d’intérieur, il suffit de se demander, quand on entre dans une pièce, si on s’y sent bien ?
A chaque famille, ses possibilités
La motricité libre offre la perspective d’un accompagnement éducatif et pédagogique particulièrement intéressant pour les enfants. Toutefois, à la maison, il n’est pas toujours facile d’offrir à l’enfant cet environnement si spécifique. Les contraintes d’espace s’ajoutent aux contraintes de temps et de disponibilité. Le challenge sera ici de trouver le juste milieu entre la liberté de mouvement et de prise d’initiative de votre petit et les enjeux pratico-pratiques de votre lieu d’habitation et du rythme quotidien.
La pratique de la motricité libre, si elle est imposée aux adultes, n’aura aucun sens et deviendra source de frustration. Prenons l’exemple d’un bébé souffrant de reflux où le transat (que l’on doit bannir en motricité libre) et la position assise sur les genoux semblent être les seules solutions ? Ou encore d’un autre qui hurle à chaque fois qu’on le met en position allongée ?
La motricité libre s’inscrit avant tout dans un mouvement pensée : celui où l’enfant est considéré comme une personne à part entière, capable, qu’il convient de respecter.
La motricité libre, ce n’est pas seulement laisser l’enfant monter le toboggan à l’envers. C’est surtout être convaincu de ses capacités, de ses compétences et de ses ressources. C’est avoir conscience que le tout-petit est hypersensible à notre intention, nos peurs et nos encouragements. C’est accepter d’avoir le second rôle dans son développement. C’est permettre l’accordage de notre rythme avec celui de bébé. C’est faire la différence entre joie et excitation, appréhension et peur. C’est porter l’enfant dans ses bras…